Yann Moix a-t-il jamais visité une bibliothèque ?
Celles qu’il décrit dans son article que je vous recommande vivement de lire sont toutes droit sorties du XIXe. La bibliothèque est poussiéreuse, n’a rien à voir avec l’information, ne doit surtout pas proposer de journaux mais se contenter de conserver Platon, Heidegger (et lui-même ?).
Cet article critique la médiathèque en ce qu’elle mélange le « livre » (entendez le livre imprimé sur du beau papier) à d’autres choses, des médias qui n’apportent pas la connaissance de l’art, la pureté de l’oeuvre. La bibliothèque ne doit faire que conserver, et ne conserver que le livre.
La bibliothèque, pour Yann Moix, est un moyen de partage de la culture (au sens noble, limité à la collection des Pléiades : au moins ya pas à se compliquer, encore moins à demander conseil à un bibliothécaire : tous les pléiades sont bons à lire, et il faut lire tous les pléiades — et ces malheureux qui parlent de politique documentaire…).
Il faut aller Après le livre
Lui conseiller la lecture du dernier livre de François Bon, Après le livre, disponible dans vos bibliothèques, en version papier ou numérique, est la solution la plus salutaire à lui conseiller. Mais ce serait peut-être trop d’un coup pour Yann (je peux t’appeler Yann, Yann ? Toi qui es assez familier avec André-Pierre Syren de l’association des directeurs de bibliothèque de grandes villes pour le qualifier de M. Machin dans ton article).
Yann a une image de la bibliothèque formidable, pleine de poussière, je l’ai dit, avec au guichet un monsieur à la Georges Bataille (les personnels des bibliothèques ne sont pas tous conservateurs, Yann, même s’ils existent toujours), un bibliothécaire qui ne prête rien d’autre que des livres. Et encore, pas n’importe quel livre : « les livres de cuisine, de bricolage ou de bien-être n’ont à mon avis strictement rien à faire dans les bibliothèques », écris-tu. Mais alors dis-moi : Nietzsche, personnellement, m’apporte beaucoup de bien-être (mais j’avoue je suis un peu snob) : n’a-t-il donc pas sa place en bibliothèque ? Et les pièces de monnaie, dont a pu s’occuper pendant un temps Georges Bataille, ont-elles leur place en bibliothèque ?
La bibliothèque n’est pas un musée. Elle n’enferme pas que de l’art, ça n’a jamais été son objet ; ça n’a jamais été le cas.
Au passage, Yann, je ne pense pas que Bataille aurait fait l’acquisition de tes livres, tu sais. Moix à côté d’Heidegger, ça ferait mauvais genre (de la même façon que tu compares Heidegger à la République du Centre).
Parenthèse bataillienne
(Georges Bataille, au contraire de toi, ne voyait pas la transcendance comme art suprême. Si tu as lu L’Impossible, par exemple, tu sais qu’il en va très autrement. Georges Bataille décrit théoriquement dans La littérature et le mal notamment, et pratiquement dans L’Histoire de l’oeil, sa vision de la transcendance justement. Je n’ai pas prétention à l’exégèse, mais cette transcendance passait par des états tellement bas, une communication si totale que prétendre que l’art pour l’art était son apanage, c’est lui prêter un snobisme factice, rêvé. Ton modèle est au contraire de toi. Je te conseillerais bien d’en prendre un autre, mais connais-tu, vivant ou mort, un autre bibliothécaire ?)
La bibliothèque n’a jamais été ce temple-là (de ton vivant)
Tu es né en 1968, Yann : tu n’as donc pas connu ces bibliothèques qui te font tant fantasmer. Car la vague de modernisation des bibliothèques municipales dans les années 70 a du vous frapper de plein fouet, toi et tes jeunes années.
Quand tu écris que le livre a été occulté, tu te trompes : les livres représentent toujours les plus longs rayonnages dans les bibliothèques. Même si on en cache toujours en magasin (c’est-à-dire en réserve) pour laisser de la place au lecteur.
Car le passage de la bibliothèque à la médiathèque, c’est aussi le passage d’un intérêt majeur pour les collections à un intérêt pour les lecteurs. Je ne te ferai pas l’affront de parler d’usager hein, je sais t’aimes pas ça. Et donc, cet intérêt pour les lecteurs conduit à certains choix, certaines expérimentations. Prêter des liseuses, par exemple. Cela te choque : c’est une machine, comme une « machine à laver », t’emportes tu. Mais il y a là une contradiction : tu t’élèves contre la machine comme moyen de partager la culture, par contre celle qui te permet de partager ta culture, la télévision, la radio ou le site web qui te permet de t’exprimer, c’est différent. Mais en quoi ? De plus, la matérialité de la liseuse te dérange, mais plus celle du livre. Ailleurs dans ton article, tu expliques que seul le contenu compte (alors pourquoi reprocher le contenant à la bibliothèque ?).
Lire numérique : internet killed the book star
Comme je te lis, Yann, je suis devant un écran d’ordinateur, je n’ai pas d’autre choix. Depuis cet écran, tu m’assènes que la lecture numérique est une hérésie : bonne blague. As-tu déjà essayé de lire un roman sur une liseuse ? Je te conseille Les frères Karamazov, par exemple. J’ai pu les lire sur une liseuse, et dans le tramway c’est plutôt sympathique. Mais peut-être n’est-on en droit de lire que dans un cabinet de lecture, assis à une table ? Le cas échéant, je conviens qu’il est plus agréable de porter ses mille cinq cent pages sur une table. Mais je préfère lire comme je le souhaite et où je le souhaite. Enfin, tu sais, la lecture numérique se passera bien de toi, t’inquiète.
A te lire, le mal est plus profond, le problème vient d’internet : « un media, Internet, dont l’existence a en particulier assassiné les livres. » Je checke mes mails et j’come back.
Comment te dire ? On savait que l’imprimerie avait tué les manuscrits, ça fait plus de cinq siècles et aujourd’hui tu l’acceptes. Combien t’en faudra-t-il pour accepter l’assassinat de l’imprimerie par le numérique ?
Le numérique bouleverse totalement la pratique de l’écriture. Donc de la lecture.
(Ce billet a été écrit et publié depuis une bibliothèque-médiathèque.)
Moix joue le même jeu que Beigbeder, et ils vont vraisemblablement êter beaucoup à suivre. Peu importe ce qu’ils pensent réellement, ils tiennent ce discours pour donner l’illusion d’être des rocs résistant à un courant inarrêtable. Ils n’ont plus l’âge de jouer les jeunes provocateurs, alors ils jouent les vieux provocateurs.
Malheureusement, vieux, vous ne provoquez personne.
Quant à nous, contentons de faire notre travail. Faire et laisser braire.
(bon cela dit, le prêt de liseuse c’est du pipo, ou alors on devrait aussi prêter des lecteurs DVD. Ce qui compte, c’est l’accès au document numérique, pas le support physique de consultation).
Je crois que l’on a trouvé le Finkielkraut des bibliothèques! J’imagine sa tête s’il savait que dans certaines bibliothèques il y a des jeux vidéos!
Comme le dit SdDg, je crois que la meilleure chose à faire est de le laisser râler dans son coin, entouré de tous ses Pléiades (quoi? de la littérature contemporaine dans les bibliothèques?! Fi donc!), car la présence des journaux dans les établissements n’est plus vraiment un sujet de débats parmi les bibliothécaires et le public!
merci de la réponse parce que j’ai vraiment été choquée par l’article de ce monsieur : cliché vivant d’un bibliothécaire poussiéreux.
Une bibliothécaire jeunesse et BD (pas de la vraie littérature en somme)
Il y a eu d’autres commentaires très réussis, de Daniel Bourrion notamment.
Je traînais l’autre jour sur les terrains de l’Info Island de Second Life, et effectivement je n’y ai pas croisé l’avatar de Yann Moix ! 🙂
S’il passe en conf’ au salon Mollat, je sens que ce n’est pas l’auteur à qui poser une question sur les bibliothèques des univers virtuels, he speak not metaverse.
J’ai fait du mauvais esprit hier soir, mais tout auteur/cinéaste au talent polymorphe qu’il est, sur des choses sérieuses on bien un habitus de France-d’en-haut coupée des réalités sociales ; « vous achetez cent Pléiade », dit-il.
Ben on voit qu’il ne se projette pas en catégorie C ; en agent de magasinage, on va faire d’autres choix de supports, choix économiquement contraints. Son article de blog ne marche pas sur deux jambes, c’est ballot…
[…] ces jours-ci sous les doigts de Yann Moix. Je ne vous renvoie pas à ses textes mais plutôt à celui-ci. Leur lecture m’a rappelé l’incipit du Que Sais-Je ? sur les bibliothèques de 1966 […]
Monsieur Moix sait sans doute que toutes les salles de cinéma ne sont pas semblables : la salle Art et Essai est fort différente d’une salle de ville moyenne qui est elle-même ne ressemble pas à un multiplexe de grande ville. Et pourtant que nous allions dans l’une ou l’autre de ces salles, nous nous rendons au cinéma. Monsieur Moix n’a sans doute pas réfléchi qu’il pouvait en être même pour les biblio / médiathèques.
La bibliothécaire que je suis a depuis longtemps appris à s’interesser aux opinions variées sur les bibliothéques sans pour autant me laisser gagner par l’énervement. Je garde mon énergie pour les usagers.