Enfer moderne ? le filtrage du web en bibliothèque

Le fait de proposer internet en bibliothèque ne pose plus trop de problèmes : il suffit d’enregistrer les logs pour s’assurer un cadre légal (plus de détails ici).

Internet en ethernet ou en wifi, l’usager a donc accès au web et s’en contente. Ce qu’il ignore souvent, c’est que cet accès est restreint. Quelle est la légitimité de ce filtrage ?

Noir c’est noir…

Les bibliothèques proposent souvent un internet limité à une liste de sites. Une liste noire collectionne les interdits : on y trouvera bien sûr youporn, redtube et d’autres sites pornographiques. Je n’entrerai pas dans le sujet de la place des documents pornographiques en bibliothèque (car si le bibliothécaire peut se sentir légitime à proposer les 11 000 verges d’Apollinaire ou les 120 journées de Sodome de Sade, il évite toute sous-culture dans ce domaine).

Tom of Finland, The art of pleasure (a cura di Micha Remakers), design di Catinka Keul; Taschen 1998; pp. 252-253 (part.)

Homme lisant sagement sur homme lisant (Federico Novaro : Tom of Finland, The art of pleasure, sur FlickR-CC-BY-NC-SA)

La liste ne se limite pas à la pornographie. Ce contrôle de légalité est purement moral, il est dans le domaine du choix subjectif. Mais un exemple illustrera mieux mon propos.

La preuve par l’exemple

J’aime beaucoup la bibliothèque municipale de Lyon à la Part-Dieu, en particulier pour ses collections très riches et bien choisies à mon goût. Le point G, centre de ressources sur le genre (identités, sexualités, mémoire gay et lesbienne) est un très beau modèle en France de la participation des bibliothèques à « la construction de soi et à la lutte contre les stéréotypes ». Cette dernière expression est directement tirée du groupe de travail de l’ABF Légothèque dont je fais partie et elle résume bien ce qui, je pense, devrait faire partie des intérêts d’une bibliothèque de lecture publique.

La collection du point G est physiquement bien implantée à Lyon : elle possède un rayon dédié et des documents disséminés dans l’ensemble des collections. Cette collection comporte aussi un versant numérique, directement accessible sur leur site.

Malgré cette collection importante, j’ai pu constater qu’en se connectant au WIFI de la bibliothèque, le site tetu.com est inaccessible. Il s’agit d’un magazine LGBT (d’ailleurs disponible en papier dans cette même bibliothèque).

Capture d’écran — accès refusé à la BML

Ma première réaction a été de supposer que la raison de cette interdiction était due à certaines images olé-olé (au pire, des hommes en slip, bon…). J’ai donc vérifié, et tous les magazines masculins que j’ai consultés (FHM par exemple) ne souffrent aucune censure (même s’ils ne proposent pas d’hommes en slip, on y trouve bien des modèles dénudés…).

Ainsi, on peut imaginer qu’en terme de construction de soi, un(e) adolescent(s) qui souhaite consulter ce site se verra opposer un accès refusé écrit en rouge sur fond institutionnel : pas très engageant.

Capture d’écran – consultation de FHMmagazine.fr à la BML

Je ne montre pas la bibliothèque municipale du doigt, qui justement est un modèle, mais je m’interroge : et les autres ? celles qui n’ont pas de « point G » et ne proposent pas un Têtu de papier ?

Quel est le maître des clés (wifi) ?

Ce panonceau de refus fermé soulève une autre question : qui dresse la liste de ces interdits ? Le choix est-il fait par les bibliothécaires ? Si tel est le cas, il manque de cohérence avec la politique de développement des collections.

Si tel n’est pas le cas, le partenaire privé de la bibliothèque n’est pas en phase avec la bibliothèque. Si vous avez des informations sur le sujet, je serais ravi d’en savoir plus.

Enfin, ce panonceau signifie aussi, à la façon des publicités des opérateurs télécoms d’un tout « illimité » qui n’en a que le prix, un accès « libre et gratuit » survendu. L’honnêteté intellectuelle voudrait que le choix d’une liste soit annoncé.

Un dispositif de médiation numérique obsolète

Peu importe qui dresse la liste de ces sites interdits, après tout, puisque les bibliothécaires semblent avoir accès à cette liste. En effet, le message (voir capture d’écran) signale que « si vous avez des questions, ou si vous pensez que la page ne devrait pas poser de problèmes, [vous pouvez] contacte[r] un bibliothécaire ». Mieux vaut ne pas être timide !

En attendant, j’ai posé la question à la bibliothèque, et ce billet sera mis à jour lorsque j’en saurai plus !

MISE A JOUR 13/01/2013 : Plus de deux mois et demi plus tard, je peux enfin actualiser ce billet.

N’ayant reçu aucune réponse de la part de la bibliothèque, j’ai directement contacté Sylvie Tomolillo, responsable du centre de ressources sur le Genre dont je parle justement ici. Je la remercie d’avoir fait en sorte que tetu.com soit accessible, c’est une bonne nouvelle. Cependant, le problème de fond est toujours là, à la BmL et partout ailleurs (ou presque ?) : le filtrage du web persiste par le moyen de listes qui restent critiquables.

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25 réflexions sur “Enfer moderne ? le filtrage du web en bibliothèque

  1. Denism2 dit :

    Le filtrage web dépend généralement des services informatiques qui dispose de liste blanches ou noires créées quelques fois à la va vite et non adaptées aux médiathèques.
    Ainsi tetu.com est dispo dans ma bib mais pas le site officiel de la fédération française de tir car classé dans la catégorie « armes à feu » !

  2. […] Le fait de proposer internet en bibliothèque ne pose plus trop de problèmes : il suffit d’enregistrer les logs pour s’assurer un cadre légal (plus de détails ici). Internet en ethernet …  […]

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  6. Ewan dit :

    Oui, service informatique en général et on sait combien les relations bib/dsi sont compliquées… Mon ancien DSI m’avait expliqué qu’il se basait sur la liste de la bibliothèque (universitaire je crois) de Toulouse qui avait le mérite (pour un bibliothécaire 😉 ) de catégoriser les interdictions. Quand on a vu que la revue Causette était bloquée, on a pu revenir dessus. Il m’a dit également qu’il existait une pornographie légale (mettant en scène des personnes consentantes, majeures et ne portant pas atteinte à personne (situations dégradantes, etc.)) et une illégale (le reste). C’est bien entendu sans compter la pression d’un public prude….

  7. Thomas dit :

    La question se pose de manière plus pregnante peut-être aux États-Unis où la défense de la sacro-sainte liberté individuelle fait l’objet d’un combat ardu, et notamment depuis la promulgation du PATRIOT ACT en 2001 (cf. http://www.ala.org/offices/oif/ifissues/usapatriotactlibrary).

    En règle générale, il n’y a alors pas de filtre internet mais les postes sont placés à proximité d’une banque d’où un personnel peut garder discrètement un œil sur les contenus consultés. Ce qui n’est pas sans poser polémique toujours, comme le montre ce blog et compte Twitter qui veut « protéger les enfants » et recense des cas, par exemple, de consultations de sites pornographiques à partir de poste publics (http://safelibraries.blogspot.fr/) :

    « Educating people and politicians about who controls public libraries. Citizens should, not the American Library Association. If your local library is applying ALA policy instead of local law/policy, learn what can be done to reverse that. »

    La question bien sûr est plus compliquée que cela.

    Souvent, la bibliothèque ne peut pas passer outre les réglages de la DSI qui cherche à protéger le réseau d’une part et les usagers d’autres part. Mais outre que les listes blanches ou noires ne sont pas la panacée (mon blog par exemple s’est vu bloqué dans plusieurs réseaux universitaires parce que contenant le mot « bondage »), il y a des sites -et plus largement des ressources- parlant de sexualité comme les sites des Plannings familiaux qui se voient souvent bloqués de la même façon.

    La solution peut être de demander la mise en place de profils informatiques spécifiques pour la bibliothèque, reconnaissant la particularité de l’institution et de ses missions. Mais ce n’est pas toujours aisé à obtenir.

    • Hortensius dit :

      Merci pour ce commentaire. Assez effrayant de voir ça, en particulier le déni de légitimité de l’ALA. J’ai vu pas mal de références aux mormons sur le blog, je suppose que ceci explique cela…

    • Actually, what I do is advise communities how they are being midled by the American Library Association. It is legitimate to do that, yes? For example, at the link under my name, I show how the ALA and other self-arrogated censorship police are now actively promoting porn for American public libraries. The ALA advises communities to allow porn in libraries, and I advise communities that the ALA is doing this. To me, informed people can make decisions for themselves. When they are misinformed by the ALA, then they make the decisions the ALA would have pushed on them had the ALA had the power. By misleading people, you get them to do what you want. That’s what propaganda does, does it not?

      And that other comment about Mormon something is rubbish — it is just another personal attack to avoid the real issues. In reality, the ALA is misleading American communities. And I am not the only one saying this. The author of the Children’s Internet Protection Act that was held constitutional by the US Supreme Court in 2003 also wrote how the ALA has misled Americans, only he says it is in a third of American communities.

      The issue is people need the truth, the whole truth, and nothing but the truth to make informed decisions. I am merely pointing out that the ALA is misleading people. As a result, American children (library patrons generally and librarians themselves) are being harmed in a way that might not have happened but for the ALA misleading people.

      Merci beaucoup.

      • Hortensius dit :

        Well, I am sorry but we are not speaking exactly from the same point of view. We, as French librarians, don’t need the ALA to be legitimate to inform patrons about whatever we want.
        We ought to inform, and the problem we can encounter with porn is the definition of itself: I don’t know if you read French, but my article is about a kind of French The Advocate (see theadvocate.com). This kind of information may be considered by some persons as porn, but it has its place in our collections.

        You use the word of propaganda, and I feel ok with it, but aren’t you also trying to make some propaganda? You may have to deal with it.
        I totally disagree with the article you wrote and I feel sorry about that: in my opinion, Fifty shades of Grey should be available to whom would like to read it.

        I am sorry if I hurt you by using the term of « mormon ». Please don’t consider it as an attack, it’s just that we are not in a religious society in France, whereas leaded by the Laïcité (see http://en.wikipedia.org/wiki/La%C3%AFcit%C3%A9). We are not used to the claim of religions principles&aims in a debate about what a library can offer.

        I thank you for this comment and I hope that you understand my answer. Please note that this comment is my personal point of view: I am not speaking in the name of the other French librarians or the library I work for.

      • SafeLibraries dit :

        Thanks, Hortensius.

  8. Je ne pensais pas que le blog de Thomas C. abordait le bondage. Je vais rechercher un peu dans les archives 😉
    Pour le reste, un billet qui pose plein de bonnes questions!

    Mathieu

  9. Oui, la classification dans les enfers numériques est largement incohérente et cela ne date pas d’hier. Voir mon expérience à Paris : http://www.bortzmeyer.org/filtrage-maladroit-paris.html

  10. […] Le fait de proposer internet en bibliothèque ne pose plus trop de problèmes : il suffit d’enregistrer les logs pour s’assurer un cadre légal (plus de détails ici). Internet en ethernet …  […]

  11. […] Le fait de proposer internet en bibliothèque ne pose plus trop de problèmes : il suffit d’enregistrer les logs pour s’assurer un cadre légal (plus de détails ici). Internet en ethernet ou en wifi, l’usager a donc accès au web et s’en contente. Ce qu’il ignore souvent, c’est que cet accès est restreint. Quelle est la légitimité de ce filtrage ? …  […]

  12. Merci pour cet article. Les bibliothèques sont généralement inféodées aux procédures des DSI des collectivités. Mais pas qu’elles : tous les points publics d’accès qui passent par elles le sont également. Il y a généralement méconnaissance et ignorance des besoins. Je dirais que c’est aux bibliothécaires de prendre alors leurs habits documentaires pour expliquer et encore expliquer l’importance de la démarche d’un Internet responsable. L’accès aux sites Internet est directement lié à cette apprentissage :sinon c’est bagarre stérile.

  13. […] de proposer un éventail de services suffisant ? A voir nos horaires d’ouvertures, les difficultés d’accès au Wifi et le filtrage du web, les idiotes restrictions sur la copie privée, il est permis d’en douter. Un tiers lieux qui […]

  14. […] billet que j’avais écrit il y a quelques mois évoquait la difficulté, voire […]

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