Que faire de ces recommandations pour le livre numérique en bib ?

Les assises des bibliothèques qui se sont tenues le 8 décembre ont été l’occasion pour le Ministère de la Culture de présenter des Recommandations pour le livre numérique en bibliothèque publique, signées par plusieurs associations professionnelles comme l’ABF dont je suis membre. Le résultat ne suscitera malheureusement pas l’enthousiasme chez les bibliothécaires.

Ces recommandations émanent de très longues et âpres négociations entre différents acteurs de la chaîne du livre, dont des bibliothécaires qui ont, j’en ai bien conscience, fait le maximum pour défendre les intérêts de nos usagers.
Mais même si l’on peut saluer cette volonté commune de se mettre d’accord sur des recommandations, plusieurs points du document sont à déplorer.
There is always a bigger fish
Décompte des forces en présence

En premier lieu, il est acquis que tout ceci doit être fait « tout en préservant les équilibres favorables […] à l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre ». Cette phrase me donne la mauvaise impression que l’on a recensé les présents autour de la table, et que l’on s’était assuré que tout le monde aurait sa part du gâteau. Mais est-ce la bonne méthode, quand certains ont déjà acté que leur part devait être de tant, qu’importe les considérations qui pouvaient émerger de ce groupe de travail ?

Les DRM à toutes les sauces…

Bonne nouvelle : les recommandations ne parlent pas de DRM ! Bon, par contre, on s’assure au passage de l’intérêt de la régulation (que l’on lit bien souvent, ce que je comprends dans un contexte de crainte vis-à-vis du piratage — encore faut-il être persuadé qu’il faille le craindre)  et surtout de l’existence pour l’accès à distance de « modalités d’accès contrôlées ». Là encore, je pense peut-être à mal, mais je lis DRM…
…tant qu’on préserve le modèle papier.
Et pas n’importe quels DRM, car il est clairement écrit que les livres sont chronodégradables : on parle de limite de « temps », tout en assurant que la bibliothèque, dans la limite de la solution commerciale, pourra la modifier : ainsi, si l’éditeur me propose un prêt de 21 jours, j’aurai le privilège de le réduire à 14 pour mes usagers ? Que la chronodégradabilité des documents soit gravée dans le marbre dans un texte signé par l’ABF, c’est pour le moins douloureux.
De la même façon, les recommandations parlent du nombre de prêt : nombre total mais aussi « nombre de prêts simultanés autorisés ». Quelle peut être la légitimité de cette limite dans le cadre numérique ? Elle n’a pas de sens !
Livre numérique et accessibilité
On dit que les catalogues accessibles « doivent converger » avec l’offre générale. Mais ne serait-il pas plus simple et plus inclusif de rendre également l’offre générale directement accessible, en proposant directement des epub ? Evidemment, les deux modèles peuvent, doivent coexister. Mais en mettant en avant l’exception, les recommandations ne disent rien sur l’accessibilité de l’offre générale : jolie pirouette, ou a minima lacune de ces recommandations ?
Ce qui me dérange dans ces recommandations est qu’au final, nous gravons dans le marbre des principes contre lesquels nous nous opposons parfois frontalement (DRM… même si une phrase précise qu’il existe autre chose que les DRM).
Au final, je suis rassuré de voir que l’ABF accueille ces recommandations avec la distance nécessaire pour ne pas rester coincé dans la voie proposée.
Pour aller plus loin :
– Les recommandations :
– Le communiqué de presse de l’ABF :
– Un article de Livres Hebdo :
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13 réflexions sur “Que faire de ces recommandations pour le livre numérique en bib ?

  1. SRN dit :

    On continue dans ce document à parler de ‘prêt’ du numérique. A partir de là on est foutu : qui dit prêt dit retour, dit DRM et plus generalement dit application au numérique du modèle papier.

  2. Je comprends ta réaction, ces recommandations ne sont pas parfaites. Mais il y a tout de même des points intéressants. Effectivement, le texte fait référence aux DRM mais il précise aussi que « Les mesures techniques de protection ne sont pas l’unique système de gestion et de protection des droits numériques. D’autres types de dispositifs que ceux qui sont communément utilisés aujourd’hui dans les offres aux collectivités peuvent être adoptés s’ils garantissent un service de qualité ou permettent de l’améliorer, dans le respect du droit d’auteur ».
    Ce texte n’inscrit rien dans le marbre. il correspond à la situation actuelle et uniquement celle-ci. Tant qu’il n’y aura pas d’équivalence à la loi sur le droit de prêt pour le livre numérique, rien ne sera satisfaisant. Il faut continuer à militer dans cette direction (cd. campagne Eblida). La voie contractuelle laisse la liberté aux éditeurs de constituer des offres qui sont défavorables aux bibliothèques. Ces recommandations n’y changeront rien… Mais on peut faire confiance aux éditeurs car comme l’a dit V. Clayssen pendant les Assises « Les éditeurs portent un amour éternel aux bibliothèques. » 😉

    Thomas

    • SRN dit :

      J’entends ce que tu dis, mais si ce sont des recommandations, ce n’est pas juste un constat de la situation actuelle, ça projette dans le futur, dans ce qu’il faudra faire.
      Je remâche mes vieilles manies, mais les mots sont importants, et le choix du mot « prêt » n’est pas neutre : pour nous, bibliothécaires, c’est une paresse ; pour les éditeurs, c’est une garantie de conserver un modèle qui cahote plus qu’il n’avance vers les bibliothèques. C’est un des multiples bâtons dans les roues mais il a une particularité, c’est qu’il est un signal de tout le reste.
      On ne prête pas plus un livre numérique qu’on ne vole qui que ce soit en copiant un fichier musical. On donne accès ou non, on autorise ou non la copie, mais on ne prête pas. L’étape d’après (ou l’étape d’avant, en un sens) c’est que l’éditeur « prête » les livres aux bibliothèques. Et que la collectivité, paye et repaye un même service, sous prétexte qu’il est considéré comme un bien.

      Pour les DRM, dire : « Il faut réguler, mais attention il n’y a pas que les DRM pensez-y, il y a plein d’autres choses », du point de vue de l’entrepreneur de chez Smith-d’en-face, ça veut dire « Il faut réguler et on peut s’amuser avec les DRM, même s’il y a d’autres choses ». Il n’y a pas que les bibliothécaires qui sont paresseux : si une solution autre tombait toute crue dans la bouche des éditeurs, peut-être l’adopteraient-ils. Mais les DRM existent, pourquoi chercher autre chose ?
      Ceux qui ont eu l’intelligence de se passer des DRM l’ont déjà fait.

      On peut effectivement faire confiance aux éditeurs (ceux qui posent problème, les gros, hein, « ‘yen a des biens… ») pour s’appuyer sur des modèles comme PNB et dire que c’est la voie à suivre. Et arriver à convaincre que pour en arriver là ils ont fait des efforts parce qu’ils nous aiment.

  3. Luc Maumet dit :

    Pour ce qui est de l’accessibilité : c’est tout de même encourageant de voir que cette question prend une telle place dans le débat. Il y a dix ans de ça nous n’en étions pas là…

    On s’éloigne de 2006 ou Paul Otchakovsky-Laurens pouvait, à ce propos, déverser son mépris pour les personnes handicapées dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2006/04/27/des-auteurs-en-voie-de-disparition-par-paul-otchakovsky-laurens_766170_3232.html)

    Effectivement, ça ne fait pas une victoire, mais c’est positif et le rappel par l’ABF des positions plus ambitieuses portées par EBLIDA donnent d’autres raisons d’espérer (et de continuer à se battre 😉

    • Hortensius dit :

      Je découvre cette tribune de Otchakovsky-Laurens… Effectivement, l’évolution côté éditeurs est à saluer !
      Ton commentaire permet de se rendre compte qu’effectivement, on part de loin.

  4. Nicolas dit :

    « Bonne nouvelle : les recommandations ne parlent pas de DRM ! »
    Les légitimes « systèmes de gestions des droits numériques » du point 7 ça veut pas dire DRM en clair ?

  5. Biblio le hobbit dit :

    Juste un mot sur le « prêt numérique », je pense que le texte se réfère beaucoup sans le nommer à PNB qui est quand même « prêt numérique en bibliothèques » et qu’on appelle ça accès contrôlé ou prêt pour moi ça n’a pas grande importance… Que certains préfèrent un modèle d’accès illimité pour les usagers en streaming pour un an (mais après un an t’as plus rien ! sauf la possibilité de repasser à la caisse !) c’est clair mais c’est un modèle sur lequel les bibliothèques n’ont aucune valeur ajoutée par rapport à des Youboox, Izneo et autres Youscribe et vont subir une concurrence féroce dont elles risquent de ne pas sortir gagnantes.

    Dans un modèle comme PNB (qui par ailleurs présente encore des faiblesses, comme la péremption temporelle des jetons restants pour un titre ou les tarifs encore trop élevés), le bibliothécaire a accès à la plupart des grands éditeurs (ce qui change des bouquets « pourris » de certains fournisseurs) gère lui-même sa politique documentaire (et sa collection) avec l’achat à l’unité. En outre cela permet de proposer aux usagers des livres qu’il peut lire sur sa liseuse (en lecture immersive, pour être plus « poétique ») également et dont l’accès n’est pas conditionné à autant de codes d’accès différents qu’il y a de plateformes avec espaces dédiés loués par la bibliothèque ; en effet, un système d’authentification unique est quasi impossible à gérer sur de multiples bouquets hétérogènes en streaming…
    Par ailleurs, l’article 1 va permettre aux bibliothèques qui utilisent PNB de revendiquer l’ensemble des titres numériques de chaque éditeur présents dans le catalogue Dilicom alors que les bouquets en streaming ne rentrent pas dans ce cadre… On peut donc espérer une disparition des embargos, en tout cas pour les éditeurs présents dans le catalogue destiné aux collectivités…

    • thesfreader dit :

      A quelles conditions ? En payant 5 fois le livre papier pour 30 prêts ? Je ne savais pas qu’il y avait autant de marges dans le budget des bibliothèques…

      De même, ce modèle supprime la possibilité de constitution d’un fond de prêt, puisque les offres sont chronodégradables, y compris avec un faible nombre de prêts.

      Les conditions imposées par les éditeurs dans PNB me semblent déséquilibrées et néfastes sur le long terme.

      • Biblio le hobbit dit :

        En effet, ce sont bien les deux obstacles qui restent comme je le disais plus haut… mais on vient de plus loin ! 🙂 Le 5 fois est exagéré, on est entre x 1,5 et x 3 (selon les éditeurs et le type de livre (poche ou grand format) en ce moment mais les négociations sont en cours avec les éditeurs… Leur principal argument est qu’il faut payer un peu plus pour les droits d’auteur d’une part, la simultanéité d’autre part. Toute la négociation est dans le « un peu plus » ! 😉

        Un autre élément à discuter avec les éditeurs est la notion de pérennité des collections, tel quel le modèle est orienté « nouveautés » et ne prend pas en compte la longue traîne (pourtant un axe essentiel pour les bibliothèques qui ont toujours donné un second souffle aux fonds des éditeurs). Il faudra trouver une solution pour cela…

        Mais je pense que les offres dans PNB vont évoluer positivement et dans tous les cas le modèle est beaucoup mieux que les bouquets en streaming qui sont ingérables pour offrir une expérience homogène aux usagers et sur laquelle je le répète, les bibliothèques vont être en forte concurrence avec d’autres acteurs dont certains bien plus puissants ! 😦 En outre, ne parlons même pas de pérennité pour ce modèle avec des offres dont la limite est précisément portée sur une durée fixe d’abonnement…

      • thesfreader dit :

        Clairement, c’est un pas de mieux que les systèmes d’abonnements, mais de si loin, il en reste du chemin à parcourir…

        Et oui, j’exagère un poil sur le *5. Mais je ne comprends pas pourquoi la simultanéité les gène : chaque prêt est décompté, qu’il soit en même temps que d’autres ou non et puisqu’ils limitent en nombre de prêts…

        Pareillement pour la durée d’expiration. Si le livre n’a pas été prêté, pourquoi le faire expirer artificiellement ?

        Ils rognent sur le beurre, sur l’argent du beurre et encaissent les charges patronales de la fermière…

  6. […] Les assises des bibliothèques qui se sont tenues le 8 décembre ont été l’occasion pour le Ministère de la Culture de présenter des Recommandations pour le livre numérique en bibliothèque publique, signées par plusieurs associations professionnelles…  […]

  7. […] cela est indissociable. La preuve. Que faire de ces recommandations pour le livre numérique en bib ? Les assises des bibliothèques qui se sont tenues le 8 décembre ont été l’occasion pour le […]

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