Votre bibliothèque suit-elle les préceptes du management innovant ?

Absorbed pensive mature businessman

J’ai cherché une illustration qui ressemble à celle de Management. Ne manque que le sourire Colgate. (par s_falkow/CC-BY-NC)

Lectures estivales obligent, j’ai changé de revues : adieu BBF, bonjour Closer Management. En dépit de la claque infligée au doux rêveur à la lecture de ces pamphlets assez radicaux en terme de management et pas avares en moqueries sur ces fonctionnaires fainéants, je me suis surpris à prendre goût à l’exercice : lire les astuces et les avancées en terme de management, et voir si les bibliothèques méritent cette étiquette de ringardise qu’on leur accole.
J’ai donc pris un des dossiers (pp.38-42) du numéro du mois d’août, concernant l’efficacité et la performance au travail, et voici, en dix points, les innovations qui ont peut-être leur place en bibliothèque.

1 Vous voulez rester au top de vos performances ? N’hésitez pas à essayer toutes les positions

Comme dit, il s’agit de proposer à tout un chacun de travailler dans différents environnements de travail, en intégrant des stations debout, assise, assise en hauteur… Pour le coup, c’est quelque chose d’assez développé pour le gros des troupes en bibliothèque : du bureau à la salle de réunion, en passant par le service public et la salle d’équipement et les magasins, l’agent a plusieurs occasions dans la journée de travailler dans des positions différentes.

« Debout, la communication est plus aisée, plus spontanée et donc plus efficace », explique Thierry Coste, directeur consulting et services de Steelcase. L’idéal est donc un bureau réglable, qu’on surélève pour les communications… Un argument en faveur des banques de prêt surélevées, façon bar ?

2 Pour mieux décider, think different

Selon une étude et des chercheurs cités, penser dans une autre langue permet à la fois d’oser davantage (s’investir dans de nouveaux projets, faire des propositions innovantes) et de rationnaliser le processus décisionnel en séparant logiquement le bon grain de l’ivraie : le vocabulaire moins étendu d’une autre langue nous permet de penser de façon plus efficace. Jusqu’ici, les concours de catégorie A permettaient de recruter théoriquement des personnes capables de penser dans au moins une langue étrangère (ce ne sera plus le cas pour le concours de bibliothécaire externe à partir de 2013). Ainsi, l’évolution du monde des bibliothèques ne va pas dans ce sens.

Pourtant, le développement de la matière informatique en bibliothèque peut nous laisser penser qu’un administrateur de SIGB ou un chargé des ressources numériques à fort à faire avec l’anglais ; en outre, pour ce qui est des bibliothèques universitaires, le milieu naturel confronte de plus en plus les agents à des langues étrangères. Cet usage descriptif d’une langue étrangère n’est pas tant un « think different » qu’un « hear, read and communicate differently« . Cette innovation est donc partiellement appliquée en bibliothèques depuis des années, mais le penser en langue étrangère n’est pas de mise dans la prise de décision, en dehors de la communication.

3 Réalisez un vieux rêve de gosse, écrivez sur les murs

Et pourquoi pas dans les livres, tant qu’on y est ? Sérieusement, il s’agit de faire la part belle aux écrans numériques et aux projecteurs tactiles, installés dans des pièces dédiées, les propal rooms. Là encore, c’est une innovation qui suit son chemin dans les bibliothèques universitaires : lorsque je donnais des cours de documentation à des étudiants de Bordeaux 3, des écrans numériques étaient souvent à ma disposition mais pas encore au point. Les universités et les Urfist s’en dotent de plus en plus.

4 Mieux que l’open space, adoptez le bureau à ciel ouvert

Parce qu’un livre se conserve plutôt mal en extérieur et que les écrans présentent encore pas mal de reflets (les Apple addicts me répondront qu’il y a aujourd’hui des écrans tout à fait adaptés), les bibliothécaires ont plutôt tendance à travailler dans la bibliothèque. Si, pour certains, le télétravail (donc le travail en extérieur) est possible, il semble bien que nous soyons captifs de notre bibliothèque (à l’exception des visites de bibliothèques aux étudiants, qui peuvent être l’occasion de faire le tour du bâtiment). En dehors des événements (animations, rencontres, etc.), cette innovation ne nous concerne que peu. En revanche, elle concerne les usagers, qui ont de plus en plus la chance de consulter leur document dans le jardin ou la terrasse de la bibliothèque : certaines bibliothèques municipales ont franchi le cap !

5 Trouvez des idées neuves en jouant aux chaises musicales

Je suis un vrai gamin, j’adore cette idée. Les réunions à 20 personnes peuvent souvent être un échec. Pour y remédier, certaines entreprises proposent plutôt de dédier une table à chaque point de l’ordre du jour, avec un référent. Des groupes de quatre ou six personnes s’y relaient, permutées à intervalles réguliers, afin de permettre de libérer la parole (certaines personnes ne se voient pas proposer une idée devant 19 personnes, on les comprend). Il y a ainsi une « plus grande variété des points de vue et une plus grande liberté d’expression ». A la fin, chaque référent propose une synthèse. L’idée me semble bonne, et j’ignore si des bibliothèques l’appliquent.

6 Un petit problème à résoudre ? Utilisez les cerveaux disponibles

Quand la communication au sein d’une équipe n’est pas au mieux, il existe un moyen de permettre tout de même à chacun de demander conseil aux autres afin de résoudre un problème : ritualiser. Ici, l’idée est d’utiliser la pause, lors d’une réunion, pour qu’un des participant expose un problème qu’il rencontre. Chacun pourra alors lui proposer des solutions, par le biais de 2 post-its qu’il lui remettra. Je suis moyennement convaincu par cette initiative, en ce qu’elle est peut-être redondante avec d’autres pratiques (échanges informels) plus ancrées, naturelles et peut-être plus efficaces.

7 Pour bosser tranquille, choisissez l’écran total

L’efficacité d’une personne qui travaille sur ordinateur est 35% supérieure si elle possède trois écrans de travail différents : un pour les données fixes (traitement de texte, tableur, WinIBW), un pour les données fluctuantes (pages Internet) et un troisième pour ce qui concerne l’administratif (e-mails, carnet d’adresse, agenda)[1]. Effectivement, et là je généralise mon cas, travailler sur 3 écrans est plus pratique qu’un seul : encore faut-il en avoir les moyens. Le gain en terme de productivité s’explique aussi par le décrochage aux e-mails… ce qui nous mène au point 8 !

8 E-mail addict, faites une cure de désintox

Le problème de l’e-mail est généralisé dans le milieu professionnel. Il existe de nombreuses initiatives pour le résoudre : mettre en place des journées sans e-mail, reporter les communications internes sur l’IRL et les réseaux sociaux (pratique quasi-absente en bibliothèque). Il n’y a pas de solution miracle, malheureusement.

Pour ma part, je pense que se réserver des plages horaires pour répondre aux e-mails permet de limiter les dégats (selon Management, nous sommes dérangés toutes les 12 minutes en moyenne par un e-mail). Et en interne, peut-être, éviter d’en envoyer ?

9 L’addiction persiste ?  Soyez synthétique

Haha, reconnaissance d’incompétence ! Management nous encourage donc à envoyer des mails synthétiques, limités l’objet dans l’idéal. Et lorsqu’il y a des questions, faire en sorte qu’elles soient fermées (non pas « tu la mettrais où, toi, la géographie stratosphérique d’un point de vue balkanique ? » mais « en 914.654.958 ou en 914.657.959 ? »). C’est effectivement ce que nous devrions tous faire, mais il est toujours tentant de se laisser aller à la digression…

10 En panne d’inspiration ? Condamnez-vous à l’isolement

L’isolement volontaire a été concrétisé chez Alcatel-Lucent par la création du Creativ’Lab, un espace de 100 mètres carrés dans lequel on peut s’enfermer pour une semaine maximum. Sans communication externe. Radicale, l’initiative se rapproche du banal débranchement de la borne Wifi. Et n’est valable que sporadiquement : au-delà de six jours, la créativité s’essouffle. Car, évidemment, la créativité se nourrit du monde extérieur…

En bibliothèque, cette innovation n’est clairement pas applicable : les contraintes de lieu sont généralement trop grandes.

Management : 1 — Bibliothèques : 1

Finalement, nos bibliothèques n’ont rien de ringard ! L’applicable est déjà en partie appliqué, en bref : nous sommes à la pointe du management moderne en bibliothèque ! Cet enthousiasme n’est pas feint, j’ai l’impression que les entreprises n’utilisent pas de ressorts bien différents des nôtres. Allez, je vous laisse, je pars feuilleter Capital

[1] Pour des raisons évidentes, je déconseille cette disposition en service public…

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10 réflexions sur “Votre bibliothèque suit-elle les préceptes du management innovant ?

  1. Oliburuzainak dit :

    Un sujet qui me tient beaucoup à coeur !!! Ayant pratiqué la management associatif, j’ai souvent eu l’oeil de regarder en parallèle le management administratif en bib, sans méthodologie de benchmarking mais simplement en regard critique.

    En pratique, j’ai souvent observé une grosse différence de sensibilité ou d’intérêt envers ce sujet entre générations ; j’ai souvent vu des anciens cadres avoir des difficultés avec cette question (pour eux une non-question) et des jeunes cadres être sensibilisés à l’aise avec cette question (j’y ai souvent trouvé les meilleurs managers). J’ai eu la surprise dans l’un de mes postes de voir que j’avais été le premier membre du personnel à emprunter dans le fond professionnel le manuel de J. Muller ; déçu et attristé, ce jour-là…

    J’ai eu la chance de rencontrer des cadres de bibliothèque très forts en gestion RH, qui ont réussi à remettre des agents au travail, en les tirant par le haut ; j’en conserve un souvenir très fort. Mais j’ai plus souvent observé de grosses carences dans la lecture des profils d’agents ou dans la lectures psychologique des agents. Dans le management associatif, si ça ne fonctionne pas de ce côté-là, soit les gens se barrent (ils sont libres d’adhérer) soit vous n’êtes pas réélu l’année suivant (ou pire, vous vous faites putscher dans une AG extraordinaire :-).

    Sur le point 8, courriel ou pas courriel, réseau social ou pas réseau social, ça a été normalement prévu à la base dans la plupart des ENT. Normalement, il y a une option forum …mais peu utilisée dans mon poste précédent, et presque inutilisée dans mon poste actuel. Contrairement aux recommandations de l’établissement, qui pousse tous les services à l’utiliser. La faute pour les uns à un défaut d’ergonomie, pour les autres à un visuel obsolète, et pour d’autres trop loin de leurs réflexes utilisateurs. Il faudrait faire un jour un billet sur les ENT d’universités et leur appropriation -ou pas- par le personnel, LOL

  2. […] Lectures estivales obligent, j’ai changé de revues : adieu BBF, bonjour Closer Management. En dépit de la claque infligée au doux rêveur à la lecture de ces pamphlets assez radicaux en terme …  […]

  3. Oliburuzainak dit :

    En complément à ce que je disais sous les 12 coups de minuit, la grosse différence entre le management associatif et le management administratif en deux mots, c’est que les contraintes politiques y sont beaucoup plus fortes (mode électif) mais que les contraintes juridiques y sont beaucoup plus faibles (pour ne pas respecter les statuts de sa propre asso il faut vraiment le faire exprès! 🙂 )

    Sur le point 4 d’innovation managériale de l’article, c’est vrai qu’on ne travaille qu’occasionnellement outdoor, mais ça représentent quand même plusieurs journées au long de l’année, à ne pas sous-estimer car moments forts : campagnes de diffusion des supports de la bibli, campagne d’enquêtes, stands de hall de fac ou interv’ en amphi pendant les journées d’accueil ou les journées d’information pour la présentation du service, etc. Il y a là une rétroaction sur l’efficacité et la performance au travail, dans cette exposition à l’extérieur des murs de la bibliothèque dont je suis convaincu.

    Sinon, je partage le constat final de ce jeu de comparaison, dans l’ensemble on arrive à s’en sortir pas si mal que ça, intuitivement et en s’adaptant tant bien que mal… Je dirais même que j’attendrais [mode serious on] avec gourmandise les résultats d’une éventuelle enquête qualité sur d’autres services que les SCD, au vu des remontées étudiantes [mode serious off/]. En tout cas, quelques soit les cultures managériales, bravo pour cet exercice intellectuel plaisant !

    • Hortensius dit :

      Merci pour ces commentaires très inspirés ! Cette analyse est très intéressante…
      … encore que par associatif, je suppose qu’il ne s’agit pas de l’ABF/ADBU/Eblida etc. ? :))

      • Oliburuzainak dit :

        Nan …d’ailleurs, je suis à la bourre depuis plusieurs mois pour renouveler ma coti’ à l’ABF. 😉

        En deux mots, j’ai un CV pro d’une page et un CV asso de deux pages ; un double cycle d’engagement dans les organisations étudiantes, et un double cycle d’engagement dans le milieu de la protection animale. Ca donne un positionnement dans l’équipe assez particulier, où j’essaye de me débrouiller « sur le tas » en important dans le milieu administratif des savoir-faire et des réflexes appris dans le milieu associatif. Des fois ça surprend et ça passe, des fois ça choque et ça bloque.

  4. Hortensius dit :

    Dans une autre partie du magazine, ils font état aussi des petit déjeuners en équipe. J’aimerais bien savoir si des bibliothèques se laissent aller à ces rendez-vous informels qui permettent sûrement d’assurer une bonne ambiance au travail.

    Nous avons déjà les pauses cafés, mais le petit déjeuner a cet avantage qu’il nous cueille au saut du lit…

    • Oliburuzainak dit :

      Sticto sensu, je n’ai pas l’expérience d’observation de petits-déjeuner sous cette forme, version équipe de direction d’entreprise ou version petit-déjeuners interministériels, même en regardant par le trou de la serrure…

      …par contre, j’ai vu en bibli des pratique managériales approchantes. Faits plus pour la cohésion de l’équipe que pour la production d’échanges : café-croissants avant l’ouverture des permanences du samedi en BU, ou jus-de-fruit/encas pour les permanences d’opération Nuit Blanche à la BNF. A chaque fois hors-budget, payé par les deniers personnels des conservateurs pour l’ensemble de l’équipe mobilisée (à la différence des journées de sortie annuelle, de cohésion).

    • Ozymandias dit :

      Yep, au moins une fois par mois dans mon équipe, sous des prétextes divers (passage d’échelon, accouchement, départ/retour en vacances…) mais comme celui qui apporte les croissants et brioches ne prévient pas toujours en avance, on se retrouve à prendre deux petits déjeuners, un chez soi et un au bureau, avant l’ouverture au public, ce qui laisse des viennoiseries à disposition toute la journée. Je ne connais pas l’impact sur le management de ce dernier point, mais sur ma prise de poids, si ! 😉

    • EymericM dit :

      Dans la bibliothèque où je travaille, nous avons une pratique approchante pour les comités de lecture, qui se font dans un café à la belle-saison et autour d’un gâteau/cafés dans la bibliothèque l’hiver. C’est l’occasion pour chacun de présenter ses coups de coeur du mois, puis de présenter ça au public sous forme de petites chroniques qui accompagnent les livres sélectionnés. Comme me l’a dit un bibliothécaire quand je suis arrivé et que j’ai assisté à mon premier comité, il avait vraiment la sensation que ce comité était un de ces rares moments où tout le monde s’écoute et échange sur ses domaines de passion/compétence. Le reste du temps, c’est vrai que chacun s’occupe des acquisitions de son secteur de son côté et on est dans le paradoxe où, bien qu’on travaille dans un lieu culturel, les échanges avec les collègues se font beaucoup sur des questions administratives ou techniques. En tout cas ces comités détendent vraiment l’atmosphère et nous donnent la sensation de prendre vraiment une ou deux heures par mois pour échanger sur autre chose que des problèmes à résoudre.

  5. […] Lectures estivales obligent, j’ai changé de revues : adieu BBF, bonjour Closer Management. En dépit de la claque infligée au doux rêveur à la lecture de ces pamphlets assez radicaux en terme …  […]

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