« Je puis et je ne balance pas à vous dénoncer un abus qui s’accroît journellement au détriment de la communauté et du commerce de la librairie ; je parle de la nuée de ces gens sans connaissances, sans titres et sans aveu, qui s’y immiscent avec une publicité qui n’a point d’exemple. »
Cette phrase évoque directement au lecteur contemporain averti du commerce des livres les marchands sans âmes au premier rang desquels Amazon.
Pourtant, il s’agit de Diderot (Lettre historique et politique adressée à un magistrat sur le commerce de la librairie, 1767), et il parle là des colporteurs. Le texte paraît alors comme bien trop critique, presque ridicule. Nous reconnaissons aujourd’hui la qualité (certes populaire) de ce qu’on appelle généralement la bibliothèque bleue.
Ce rapport populaire au livre déplaisait semble-t-il aux hommes de lettres. Ne serions-nous pas en train d’agir de même envers Amazon, libraire numéro 1 des listes de livres scolaires par exemple ? J’avoue ne pas penser ce que j’écris, que le raisonnement ne tient pas en ce que les colporteurs, bien que corporatistes, n’étaient pas mus par l’ambition monopolistique avec les même moyens et la même faible concurrence. Pourtant, la différence tient peut-être davantage en ce qu’Amazon ne retient pas que le public populaire, mais qu’il a aussi les moyens de proposer à tous ce qu’ils souhaitent, ce que mon libraire du « quartier de l’université » ne peut pas.
Le colporteur est le vendeur vulgaire (mais aussi celui qui permet d’éviter, dans certains cas, la clandestinité), mais il y a aujourd’hui bien plus de place pour le vendeur et les autres autour, ceux qui le souhaitent. Ceux qui le souhaitent, et je dis cela sans libéralisme idéologique, prendre place avec la vente et autour de la vente.
Sujet largement débattu, certes, mais qui oublie souvent que la peur pour le livre n’est pas récente, et la peur pour les hommes de lettres non plus.
Et puis n’oublions pas que finalement les libraires ont eu raison des colporteurs.