8h de train, 1h de retard et du monde : l’imagination divague

Elle baillait comme un lion rugirait, comme énervée face à son écran de téléphone. Elle compulsait les touches du clavier, veillant sûrement à l’arrivée de nouveaux messages sur ce maudit téléphone qui la tenait éveillée le long de ce Grenoble-Bordeaux.
Dimanche soir, TGV vide, l’écran de son téléphone l’exciterait assez pour qu’elle ne s’endorme que vers trois heures du matin.
Comme un timide cochon d’Inde, elle tressautait à chaque inconnu croisé dans le train. Et tous étaient inconnus. Elle fermait les yeux, mettait son casque à musique branché au téléphone, et pensait à sa semaine.
Lundi. Rien, sinon travailler à la bibliothèque.
Mardi. Rien, sinon travailler pour la bibliothèque.
Mercredi. Rien, sinon travailler à la constitution de sa bibliothèque personnelle.
Jeudi. Travailler à son avenir professionnel (entraînement aux exercices du concours, veille internet, entretien du réseau).
Vendredi. Travailler à son avenir personnel (ménage, courses, factures).
Et puis elle reprendra le train, face à ce même inconnu au cheveux en formes de flammèches, si n’étaient quelques pellicules qui donnaient trop de terne à l’ensemble pour pouvoir le qualifier de flamboyant. Dommage.
Elle avait choisit une place côté fenêtre lors de la réservation pour pouvoir observer les changement de paysage de Grenoble à Bordeaux. Elle oubliait alors que le voyage se faisait de nuit.
Le train était de ceux qu’on trouvait modernes dans les années quatre-vingt dix, rayés de gris et de turquoise, spacieux et froids, inconfortables et impersonnels. Une mode passée désormais.
Sa tenue à rayures exotiques ne dépareillait pas de l’ambiance à bord. Personne malheureusement ne semblait en mesure de lui en faire part : tous dormaient ou, fébrilement, tapotaient sur leur téléphone portable sans remarquer les gens alentour. Après tout, c’étaient des inconnus.
Le problème étant qu’en 2011 et en France, les inconnus étaient condamnés à le rester. La solitude était un mal qu’on préférait à la confrontation à l’inconnu. Cet inconnu était considérait comme poétique, comme fantasmatique, et le vaincre eut été de trop (une déception et une rupture du confort).
Il fut évidemment un homme pour rompre l’ennui et aborder notre protagoniste, lui demandant gauchement l’heure. Face à tant d’impudeur, notre protagoniste ne put s’empêcher de répondre, aucune répartie pertinente ne venant à ses lèvres.
– 22h42, répondit-elle donc sèchement.
– Merci, et à quelle heure arrivons-nous à Agen ?
La question était de trop, mais il y avait d’autres gens dans la voiture 12 du train. Il fallait donc répondre :
– Ecoutez, je n’en sais rien, je descends à Bordeaux moi ! Elle s’empourprait, et s’agaçait de se sentir rougir pour cet imbécile.
– Bordeaux ? Ho j’ai connu cette ville avant le tramway : ne l’a-t-il pas trop défigurée ?

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